Le silence. Un silence lourd et pesant. Un silence de plomb. Un silence de prison.
Hier, au mémorial impromptu organisé à la mémoire d’Alexei Navalny, il n’y avait que du silence. Des dizaines de personnes et pas un bruit. Comme si quelque chose s’était cassé. Comme si notre destin était brisé. Comme si tout était fini. Ce silence, il m’a poussé à réfléchir à ce qui nous est arrivé, à ce qui nous attend à l’avenir, au sens même de cette tragédie.
Pourquoi Navalny est-il mort ? Les réponses sont évidentes et nous les connaissons. Parce qu’il a osé défier Poutine. Parce qu’il a fait peur au régime en donnant au peuple de l’espoir et la promesse d’une autre Russie, une Russie meilleure. Mais il est surtout mort parce qu’il a mis au grand jour le fait que les gens au pouvoir en Russie sont des voleurs qui n’ont rien à faire du pays et de son peuple. Il a révélé au monde qui sont nos gouvernants et eux ne voulaient jamais que qui que ce soit le sache. Navalny a dénoncé les voleurs au pouvoir et ces voleurs ont utilisé leur pouvoir pour le faire taire, l’emprisonner et le tuer. La vérité c’est qu’il gênait et qu’il représentait un risque pour le pouvoir.
L’Histoire de Navalny est une Histoire trop courante dans la Russie d’aujourd’hui : c’est l’Histoire de quelqu’un qui a été puni pour avoir une opinion et l’avoir exprimé, c’est l’Histoire de quelqu’un qui a été puni parce qu’il voulait le meilleur pour son pays et son peuple, c’est quelqu’un qui a été puni parce qu’il a osé espérer. Le Gouvernement russe ne veut pas rendre sa Liberté au peuple russe pour que celui-ci construise son avenir car dans cet avenir ce Gouvernement n’existe pas. Nous sacrifions chaque jour nos héros, des vies innocentes, et notre propre avenir pour garantir leur bien-etre à eux et pas le nôtre. Le bonheur de Poutine et de son clan exigent le sacrifice de la Russie et de son peuple. Et c’est contre cela que Navalny s’est élevé. Et c’est pour ça qu’il est mort.
Notre Responsabilité
Le silence. Un silence coupable. Un silence plein de regrets.
Alors que nous nous tenons là, je sens que nous comprenions que certes, c’est Poutine qui a tué Navalny, mais que nous sommes nous aussi responsables. On peut bien sûr songer à toutes ces personnes qui ont décidé de ne pas sortir dans la rue quand cela était encore possible car ils ne voulaient pas risquer leur quotidien confortable. On peut aussi penser à toutes ses personnes qui n’ont pas voulu prendre la responsabilité de l’avenir du pays et ont seulement pensé à leur petite existence tranquille.
Mais nous sommes également responsables. Nous, qui nous nous battons depuis des années déjà. Notre faute ? C’est la faiblesse, c’est le manque d’initiative, c’est l’absence de notre caractère décisif. Depuis deux ans maintenant nous ne faisons que le minimum syndical. Nous avons peur. Nous avons peur des mots, nous avons peur de ce qu’il faut faire alors que nous savons ce qu’il faudra bien le faire. Nous nous battons avec les méthodes de 2018 face un régime totalitaire de 2024. La première année de la Guerre, quand je parlais du besoin d’une Révolution, on me prenait pour un extrémiste … Les QG de Navalny ne furent crées qu’en Décembre 2022, les groupes de travail sur les réformes datent de Septembre 2023 … Les premières discussions sérieuses sur ce qu’il faut faire sont encore plus récentes. Nous sommes toujours trois pas en retard. Nous courrons derrière les évenements et nous gobons toutes les distractions que nous envoie le Kremlin. Lui, il a déjà pensé à 10 pas devant nous, comme un joueur d’échecs.
Nous avons laissé filer des opportunités incroyables de frapper. Le début de la Guerre en Février 2022, l’annonce de la mobilisation, le coup de Prigozhine … Nous aurions pu faire quelque chose de décisif à chacune de ces opportunités et à chaque fois nous ne faisions que regarder. Je ne cherche pas ici à pointer du doigt ou à dénoncer quelqu’un. Moi-même j’ai commis ce genre d’erreurs. Mais il faut regarder la vérité en face. Nous n’avons pas été à la hauteur.
Le besoin de Révolution était évident avant même le début de la Guerre, le temps pour les méthodes douces est depuis longtemps révolu … Et nous n’avions pas le droit de nous cacher derrière le dos des ukrainiens. L’idée que les ukrainiens vont gagner cette Guerre et vont nous libérer, c’est de la folie. Les ukrainiens n’en ont rien à faire de l’avenir de la Russie, ils ne cherchent qu’à libérer leur pays. Leur Victoire n’a d’ailleurs jamais été garantie … Et croire qu’une défaite de la Russie amènerait à la chute du régime de Poutine est également une erreur. La seule chose qui amènerait à la chute du régime c’est une Révolution menée par nous, citoyens d’une Russie libre.
Je ne peux pas garantir que nous aurions réussi. Mais si nous avions été plus décisifs peut être qu’aujourd’hui Navalny serait libre, peut être que la Guerre serait finie, peut être que les soldats ukrainiens seraient sauvés. Mais nous avons décidé de nous cacher derrière leur sacrifice héroïque et nous n’avons rien fait.
Cela doit changer.
Et pour changer il faut comprendre ce qui nous attend et ce contre quoi nous nous battons. A chaque occasion ratée, le régime s’est renforcé. Nous ne pouvons plus faire ce que nous devions faire en Février 2022 ou lors de la mobilisation. La répression en Russie atteint des sommets et nous ne pouvons mettre la vie de nos concitoyens en danger sans réfléchir. Mais il faut aussi comprendre que nous faisons face au plus grand défi de notre temps. Personne n’a encore eu à combattre un régime aussi puissant que celui de Poutine. Armé d’un arsenal nucléaire, des services de sécurité performants, d’intelligence artificielle, de milliards de dollars issus d’hydrocarbures, d’un système de propagande titanesque et une idéologie qui lui permet tout, la dictature de Poutine est un titan colossal.
Et de plus, il ne se tourne pas les pouces. Il étudie l’Histoire et il sait là où ces prédécesseurs ont échoué et comment contrecarrer tous les scénarios des Révolutions précédentes. Cela ne veut pas dire que notre cause est perdue … Loin de là. Mais cela veut dire qu’on ne peut pas gaspiller nos ressources, perdre notre temps et jouer avec l’espoir des gens alors qu’on a peur de dire la vérité et de faire ce qui doit être fait.
La tâche qui nous attend est immense, il faut réfléchir, innover, surprendre, s’adapter, se dépasser. Comme dans le monde naturel, si nous ne nous adaptons pas, nous mourrons. C’est aussi simple que ça. Il nous faut favoriser nos gens talentueux, il nous faut penser à l’impensable, il nous faut changer.
L’héritage de Navalny
Le silence. Un silence assourdissant. Un silence de colère. Un silence de détermination.
Beaucoup de choses ont été dites et vont être dites à propos de Navalny dans les semaines qui suivent. Rendre hommage à son sacrifice est essentiel. Comprendre son œuvre est fondamental. Mais surtout ce que nous devons faire, c’est honorer son courage. Et il n’y a qu’une seule manière de le faire : en continuant son combat.
Ces derniers temps j’ai été victime de doutes sur ce que nous faisions. Je ne suis pas quelqu’un qui abandonne le combat mais je ne suis pas insensible à l’introspection. Et pendant des semaines déjà j’ai pensé à la futilité de notre combat, à notre avenir, aux risques que nous prenions. Mais la mort de Navalny a balayé mes doutes. Hier, me tenant devant le mémorial, j’ai été frappé par l’évidence. Nous ne pouvons pas abandonner le combat. Nous n’avons pas le choix. Nous ne savons pas si nous allons gagner, nous ne savons pas ce qui va nous arriver. Mais cela n’a pas d’importance. Car il est mort en combattant et sans garantie de succès non plus. Il est mort pour nous, il est mort pour la Russie.
Le sacrifice de Navalny nous oblige. Car si nous baissons les bras, il serra mort pour rien. Le sens de son sacrifice dépend de nous maintenant. Nous sommes certes orphelins, mais nous sommes aussi désormais ses héritiers. La cause qu’il a choisie est belle. Il était un vrai patriote qui se battait pour la mère-patrie. Il n’a pas hésité à mettre sa vie en danger. Il n’a pas hésité à dire la vérité. Il n’a pas hésité à croire jusqu’au bout. Il nous a montré le chemin. Et nous devons désormais terminer l'œuvre inachevée qu’il nous a laissée.
Ce qui arrivera n’a pas d’importance. Nous ne pouvons espérer des garanties de succès. La seule chose que nous avons c’est la cause. Et se battre pour la cause est la seule chose qui compte.
Il est mort en homme honnête. Honnête avec lui-même, et avec nous. Nous devons donc continuer dans le même esprit.
Navalny ne sera pas mort en vain. En son honneur nous devons sécher nos larmes, nous relever, et reprendre le travail. Nous devons changer, nous devons travailler dur, nous devons garder espoir, aujourd’hui plus que jamais. C’est ce qu’il aurait voulu.
Le silence. Un silence de fin. Un silence de commencement. Un silence, qui doit laisser place au tonnerre.
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