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Intégration Post-Soviétique : Conclusions




Pour conclure notre analyse, il paraît intéressant de nous pencher sur trois questions en particulier : Qu’est-ce que l’intégration soviétique et post-soviétique peut nous apprendre sur la théorie de l’intégration ? Comment peut-on concevoir l’évolution de l’intégration dans l’espace post-soviétique ? Et comment peut-on imaginer les relations entre l’UE et l’UEE à l’avenir ?


  • Leçons tirées de l’intégration soviétique


Pour la première question, il est possible de tirer plusieurs leçons de l’analyse de l’intégration de l’espace soviétique et post-soviétique. La première est bien sûr la problématique de l’incompatibilité des modèles. L’UEE prétend reprendre le modèle de l’intégration européenne, tout en limitant certains aspects de ce modèle et en continuant à poursuivre une politique autoritaire au sein de la plupart des Etats-membres. Il semble en effet clair qu’il est impossible d’intégrer au niveau régional en utilisant des outils de libéralisation des échanges lorsque les sociétés nationales ne sont pas libérales. En d’autres termes, il ne sert à rien d’avoir des libertés de circulation ou des facilitations des échanges au niveau régional si les économies nationales ne sont pas suffisamment développées et pas suffisamment libres. Les économies nationales des Etats-membres de l’UEE, comme nous l’avons vu, ne sont pas suffisamment compétitives pour faire face aux pressions concurrentielles extérieures et sont trop écrasées face à la domination russe. De plus, le poids politique de la Russie empêche une croissance favorable de l’ensemble car soit elle dicte sa volonté à ses partenaires, soit elle refuse de jouer le jeu des traités. L’Union Européenne n’est certes pas parfaite, mais elle demeure cohérente vis-à-vis de ses méthodes d’intégration et ses objectifs. Elle représente une Union d’Etats libéraux souhaitant une meilleure intégration économique, et qui donc jouent le jeu des institutions. C’est d’ailleurs tout le sens de la procédure législative ordinaire, qui impose l’adoption des actes de droit dérivé non à l’unanimité mais à la majorité qualifiée. L’UEE, est une Union de petits États amarrés à l’hégémonie russe, qui ne sont pas des États libéraux. Ils ne semblent s’intégrer qu’à contre-cœur à une organisation internationale qui a du mal à faire appliquer ses principes libéraux en absence de véritable stimulus économique.


L’Union Soviétique, elle, était au moins cohérente avec son idéologie. Fidèle à la théorie Marxiste-Léniniste, elle imposait une vision internationaliste du monde via un système fédéral et une politique autoritaire propre à jouer l’avant-garde révolutionnaire. L’échec de l’URSS vient surtout de son modèle économique et de son modèle politique autoritaire. Mais l’UEE veut jouer un double-jeu impossible : rester autoritaires à l’intérieur tout en jouant les libéraux à l’extérieur.


L’autre élément qui nous intéresse dans cette comparaison, c’est le rôle des questions nationales. Nous avons en effet vu comment la politique soviétique était contradictoire vis-à-vis de son idéologie et de ses institutions. La répression des identités nationales a eu pour effet de placer une bombe à retardement dans la construction soviétique, qui a explosé au moment de la chute de son économie. On peut donc en déduire deux choses : pour préserver une Union, il faut une politique de respect des identités nationales et une économie efficace (selon une approche fonctionnaliste d’ailleurs : les citoyens toléreront mieux une Union si celle-ci atteint ses objectifs). L’Union Européenne en ce sens réussit plutôt bien à tenir l’équilibre. Aucun Etat-membre ne souhaite quitter l’Union de peur de perdre tous les avantages issus de l’intégration économique et dans le même temps, l’UE est réellement respectueuse des identités nationales et des politiques nationales. Ceci est d’ailleurs évident vu que l’UE est le produit de la volonté des Etats et donc c’est eux qui posent les limites de son action. Mais ce postulat peut changer. En effet, l’Union commence à prendre des décisions et des postures politiques qui vont à l’encontre de certaines tendances nationales et est donc vécue comme un oppresseur par certains habitants. Ce sentiment est souvent repris par des mouvements populistes qui scandent des slogans souhaitant un retour de leur souveraineté face au “diktat de Bruxelles”. Nous voyons avec cet exemple que si les dynamiques sont différentes, elles sont néanmoins comparables. Ce qui est arrivé à l’Union Soviétique, est un risque pour l’Union Européenne. Il faudra donc toujours garder un œil sur l’équilibre entre intérêt économique et respect des Nations pour éviter un effondrement fondé sur les résistances nationales.


  • Evolution possible de l’UEE


En ce qui concerne l’évolution future de l’espace post-soviétique, il faut d’abord souligner que l’UEE est une organisation internationale récente (elle n’existe que depuis 2015) et que réfléchir à son avenir reste essentiellement de la spéculation. Mais si on garde à l’esprit la problématique de l’incompatibilité des modèles, il paraît clair que l’intégration eurasiatique est au point mort. Les anciens États baltes, intégrés dans l’UE, ne rejoindront pas l’UEE c’est certain. Mais c’est aussi le cas d’autres États que la Russie souhaiterait voir réintégrés dans sa sphère d’influence. Ainsi la Moldavie, l’Ukraine et la Géorgie n’intégreront probablement pas l’organisation. L’Azerbaïjan n’a pas non plus intérêt à rejoindre l’UEE et sera forcément opposé par l’Arménie s’il déposait une candidature. La seule perspective de croissance pour l’UEE demeure asiatique : les Etats d’Asie centrale. Mais ceux-ci sont de petits États et ont des économies peu développées. Mais hormis cela, l’UEE semble déjà être en désintégration vu le peu d’intérêt que lui accordent les Etats-membres et les commentateurs. Cela pourrait changer si justement la Russie devenait libérale.


En tant que moteur de l’intégration, si la Russie réussit à se reconstruire de l’intérieur pour avoir une économie dynamique et créative, elle pourra irriguer via l’UEE la croissance des autres Etats-membres de l’organisation. Ainsi l’UEE deviendrait attractive et intéressante. La problématique de l’incompatibilité des modèles serait réglée car une Russie libérale au cœur d’une organisation internationale d’intégration régionale redonnerait à l’UEE tout son sens. Il faudrait bien sûr amender le traité d’Astana pour y instaurer par exemple la majorité qualifiée ou le renvoi préjudiciel. Cette perspective est possible. L’ironie c’est qu’elle dépend beaucoup de l’évolution interne russe.


  • Relations possibles entre l’UE et l’UEE


Pour ce qui est de l’évolution des relations entre l’Europe et l’UEE, il faut dire qu’une fois de plus, tout dépend de l’évolution interne russe. Un des objectifs de l’UEE est de constituer un point de transit entre l’Europe et l’Asie, donc en théorie la Russie aurait tout à gagner à chercher à rapprocher les deux ensembles. Mais sa politique récente fait douter de ses intentions. En effet, la Russie soutient les partis populites des Etats-membres de l’UE et qui sont, le plus souvent, eurosceptiques. Cela peut venir d’un rejet des valeurs libérales par le Kremlin qui cherche également à légitimer sa revanche sur ce qu’il perçoit être une humiliation (on parle ici de la chute de l’URSS). Ainsi, l’UEE est plus construite pour s’opposer à l’UE plutôt que pour s’en rapprocher. D’ailleurs un des aspects les plus étranges de l'interaction entre les deux espaces, c’est la question de savoir comment organiser les Etats à la frontière des deux espaces. Que faire par exemple si un Etat-membre de l’UE veuille demeurer membre de l’UE et en même temps adhérer à l’UEE ? C’est une question légitime quand on sait les liens qui unissent certains pays membres de l’UE à la Russie (comme par exemple la Hongrie). Il y aurait ici une contradiction extraordinaire entre deux ensembles régionaux qui revendiquent la primauté de leur droit sur tout autre, y compris donc celui de l’autre ensemble …


Mais une chose peut porter à l’optimisme : les perspectives de changement en Russie. Car si la Russie devient libérale, il est possible que le rapprochement avec l’Europe permettrait à l’UE d’augmenter ses débouchés sur un marché proche géographiquement et en développement, alors que l’UEE trouverait enfin la dynamique dont elle manquait jusque-là. Tout est en fait une question de posture. Si la Russie et l’UEE s’entêtent à rester sur une posture provocatrice, rien ne pourra changer. Si par contre les réformes sont prises en Russie et dans les pays de l’UEE, un espoir de développement peut naître pour les deux ensembles que sont l’UE et l’UEE. C’est d’ailleurs une des questions théoriques qu'on peut se poser sur ce qu’aurait été l’état du monde si les projets de Gorbatchev avaient abouti … Si l’URSS avait été maintenue et son intégration sauvegardée, quelles auraient été ses perspectives économiques et ses possibilités de coopération avec l’UE ? Si Gorbatchev avait réussi son pari de libéraliser l’URSS, autant sur le plan politique qu’économique, et si sa politique de rapprochement avec l’Occident avait abouti, quelles auraient été les dynamiques des deux ensembles aujourd’hui ? Dotés d’atouts économiques et industriels conséquents, l’URSS aurait constitué un pôle de développement économique et politique incontournable. Mais au lieu de cela, l’espace post-soviétique est devenu une région sous-développée, pleine de tensions et de contradictions. A la merci de ses voisins et soumise aux velléités revanchistes de la Russie. La création de l’UEE n’a en rien changé la donne.


Au final, la dynamique enclenchée par les invasions mongoles poursuit son cours. L’espace hérité de l’Empire russe et de la désintégration de l’URSS continue à privilégier l’autoritarisme et le pillage de ses ressources économiques. Refusant les réformes et considérant le libéralisme comme un danger existentiel. L’étranger est toujours conçu comme une menace au mode de vie de la région, et ce “danger extérieur” est instrumentalisé par les pouvoirs en place pour justifier leur propre existence. L’avenir nous dira comment vont se dérouler les relations entre l’Europe et l’espace post-soviétique. Mais il est clair que beaucoup de choses vont se décider selon l’évolution interne russe. La Russie est seule à pouvoir se réformer. Et c’est seulement si elle se réforme, que l’UEE aura une chance de vraiment suivre l’exemple européen.


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