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Intégration Post-Soviétique : L'Exemple Européen







Si le Kazakhstan avait déjà proposé la création d’une Union Economique à l’échelle de l’ancienne URSS en 1995, ce projet ne vit finalement le jour qu’en 2014. En effet, il a fallu plus de 20 ans pour que les anciennes Républiques soviétiques décident d’à nouveau chercher à s’intégrer ensemble. Les raisons qui les y ont poussé sont nombreuses : historiques, culturelles, linguistiques … Mais il semble probant de dire que ce qui a surtout convaincu les Etats-fondateurs de l’UEE fut l’attractivité de l’exemple européen. Pour l’illustrer il suffit de présenter le fait que l’URSS, avec ses méthodes d’intégration autoritaires et son économie inefficace c’est effondrée là où l’Union Européenne, avec son intégration modérée mais tenace et son modèle d’économie de marché a dépassé toutes les espérances durant la même période historique.


L’attractivité du modèle européen se trouve probablement dans sa nature particulière, une nature qui en fait bien plus qu’une simple organisation internationale à but économique. Elle représente un modèle d’intégration politique comme nous l’avons vu dans l’introduction. Ainsi l’UEE serait vouée à s’éloigner de la forme d’une organisation intergouvernementale classique pour à nouveau se construire sur un modèle fonctionnaliste.


Il est aussi possible de supposer que l’attractivité du modèle européen vient de ses incroyables exploits. Sortis de la guerre, les Etats européens ont été ravagés par le conflit et ont vécu l'effondrement de leurs empires coloniaux. En 1945-1950 les perspectives n’étaient pas encourageantes pour les Etats d’Europe occidentale. Et pourtant, en seulement un demi-siècle, ils ont réussi à se reconstruire et à créer un espace économique unique et dynamique, à l’égale du marché américain. Pour des Etats dont l’économie est exsangue à cause des insuffisances nées de l’économie socialiste et en ayant perdu leur prestige impérial, il paraît évident que l’exemple à suivre est le modèle européen.


Mais le modèle européen présente d’autres raisons qui le rendent attractif. En effet la doctrine a dégagé plusieurs aspects propres à l’Union Européenne qui expliquent son succès.


Parmi ceux-ci ont peut citer ce qu’on appelle le “spill-over” ou “effet d’engrenage”. Cette notion a été définie pour la première fois par Ernst Haas en 1968 et s’inscrit dans la pensée néo-fonctionnaliste. Elle renvoie au fait qu’intégrer un secteur peut amener à l’intégration d’un autre secteur et incarne ainsi des “solidarités des fait” entre les acteurs de l’intégration et contribue donc fortement au processus d’intégration en lui-même. Par exemple, il n’était pas possible d’intégrer le marché commun en Europe sans reconnaissance mutuelle des jugements ou encore la création d’un comité d’entreprise uniforme sur le territoire de l’Union. L'Économie a pour effet de toucher à de nombreux domaines et la nécessité d’intégrer ses domaines pour faciliter la croissance économique a pour effet d'accélérer les processus économiques et à les rendre plus performants partout dans l’Europe.


Ensuite la mise en commun de compétences peut être salvateur pour les Etats. Cette thèse a été portée par Alan Milward, qui considère que l’intégration européenne n’est que l’affirmation sur la scène internationale de l’Etat-nation qui légitime le processus intégratif en créant cette organisation pour répondre à ses besoins. En effet, il est fort probable que les Etats seuls ne pourraient pas répondre aux besoins de leurs citoyens par des politiques protectionnistes ou tout simplement à cause de la taille de leur marché. Créer une organisation internationale économique à l’échelle de l’Europe a permis aux Etats d’éviter en quelque sorte leur propre effondrement et à dépasser leurs limites.


C’est d’ailleurs pour cette raison que certains auteurs ont parlé d’un “intergouvernementalisme supranational” ou de “fédéralisme intergouvernemental” (concept développé par Maurice Croisat et Jean-Louis Quermonne), ce qui renvoie à une façon de gouverner en commun sur des questions spécifiques pour être plus efficaces et à moindre coût. Certains auteurs (et notamment Andrew Moravscik) considèrent d’ailleurs qu’un des attraits de l’Union Européenne se trouve dans les gains en coût pour les Etats qui délèguent certaines compétences à une entité supranationale spécialisée dans le domaine intégré. Cette spécialisation au niveau de l’Union bénéficie donc à tous ces États-membres, permet de réagir plus vite et de manière plus unifiée tout en coûtant moins cher aux budgets des Etats-membres.


Enfin l’attractivité du modèle européen se trouve aussi dans sa capacité protectionniste face à une mondialisation toujours plus conquérante. En effet, Andrew Hurrel pose plusieurs arguments qui considèrent que le phénomène du régionalisme est une réaction des Etats face à une concurrence issue de la mondialisation à laquelle ils ne peuvent pas faire face par eux-mêmes.


Tous ces éléments ont donc probablement inspiré les Etats issus de l’ex-URSS quand ils ont signé le traité d’Astana instituant l’Union Économique Eurasiatique. D’ailleurs il serait juste de souligner qu’un des avantages de la nouvelle UEE est qu’elle se trouve à un carrefour entre les grands ensembles européens et de l’Asie-Pacifique. Ainsi il a paru évident qu’il fallait à nouveau intégrer dans l’espace de l’ex-URSS pour stimuler la croissance de ces pays et à utiliser les avantages issus des décombres de l’ancien Empire soviétique.


Pour prendre pleinement l’exemple européen, les auteurs du traité d’Astana ont décidé de reprendre des éléments clefs de l’Union Européenne. Ainsi on retrouve une mention quant aux quatres libertés de circulation à l’article 1 ainsi qu’une mention du fait que l’UEE dispose de la personnalité juridique internationale, ce qui permet à l’UEE d’agir en son nom et de signer des actes de droit international.


On retrouve des institutions similaires à celles de l’UE quand on voit à l’article 8 la création d’une Commission eurasiatique (organe censé être le lieu d’initiative de l’UEE ainsi que l’organe intégré représentant les intérêts de l’Union) et des Conseils (un au niveau ministériel comme le Conseil de l’Union Européenne et un au sommet comme le Conseil Européen, sachant que dans le traité d’Astana celui-ci est dénommé “Conseil Suprême” comme au temps de l’URSS). Une grande partie du traité est également consacrée au fonctionnement du Marché Intérieur eurasiatique, sur un modèle proche de celui européen. Bien sûr l’Union Eurasiatique reprend aussi les notions “d’harmonisation de la législation” qui a fait la force de l’Union Européenne.


Mais si ces éléments renvoient beaucoup à l’Union Européenne, il est indéniable que l’Histoire des deux ensembles est très différente et cela peut jouer sur leur fonctionnement réel. Même si les fondateurs de l’UEE prétendent tout simplement suivre l’exemple européen, ils n’ont pas hérité de la même Histoire ni de la même configuration géopolitique que ne l’a fait l’Europe. Leur degré de développement économique interne n’est pas non plus comparable. C’est ce que nous allons étudier maintenant via une analyse de la nature particulière de l’UEE.


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