Profondément traumatisées par la chute de l’URSS et nostalgique de son statut de superpuissance perdu, la population et l’élite russes semblent vouloir absolument s’accrocher à la volonté de rétablir ce qu’ils appellent la “Grande Russie” (synonyme de l’Empire en vérité). Et il ne serait pas faux en effet de constater que la chute de l’URSS c’est l'effondrement d’un Empire, peut être même du dernier Empire colonial. Mais comme il a été dit précédemment, il est plus facile à la Russie de rétablir sa sphère d’influence que ce n’est le cas pour les anciennes puissances coloniales européennes. D’où vient un paradoxe : l’Europe choisit de construire quelque chose qui n’a jamais existé, à créer une intégration au niveau de l’Union Européenne entre Etats anciennement ennemis, alors que la Russie utilise l’exemple de l’UE pour rétablir son propre Empire qu’elle a perdu.
Mais si c’est le point de vue russe, ce n’est pas le point de vue des autres Etats-membres de l’UEE et a fortiori de leurs populations. Que penser par exemple du fait que le tarif commun de l’Union Douanière a été imposé par la Russie à ses partenaires ? Ou encore du fait que les hydrocarbures sont exclus du champ d’application de l’UEE, donnant de fait un levier stratégique considérable à la Russie ?
En effet, les tensions entre la Russie et la Biélorussie entre 2018-2020 portait sur le changement du système de taxation du secteur énergétique russe, ce qui aurait grandement impacté les revenus de la Biélorussie qui est un pays de transit pour ces énergies. Si les règles de l’UEE auraient été appliquées, la Russie aurait dû chercher un consensus avec ses partenaires pour maintenir la cohésion du marché commun de l’énergie. Mais ce ne fut pas le cas et à elle seule la Biélorussie avait bien peu de moyens de pression sur la Russie hormis la distanciation diplomatique et le rapprochement avec l’UE. Si cet exemple fut au final éphémère à cause de la Révolution biélorusse et du rapprochement de Loukachenko avec Poutine, il illustre parfaitement non seulement la mauvaise foi de la Russie à vouloir jouer le jeu de l’intégration mais aussi la défiance de ses partenaires de son hégémonie présumée.
Des éléments d’analyse économiques viennent également montrer que la domination russe a des effets néfastes sur la croissance de l’ensemble. S’il n’y a pas de consensus sur la question, certains considèrent que l’UEE a permis de freiner la chute du commerce entre les Etats-membres. Mais une tendance est claire : l’UEE, malgré ses ambitions, ne parvient pas à stimuler les échanges économiques à l’intérieur de la zone (alors que c’est pourtant le seul objectif qu’elle a !). La raison principale de cet état de fait est bien sûr l’application de la théorie économique des avantages comparatifs. Si la Russie domine certains marchés locaux, elle ne peut faire concurrence aux investissements américains ou européens ou encore aux produits chinois. Même sur le plan technologique la Russie ne peut proposer des produits de suffisante qualité pour être intéressants vis-à-vis d’autres exportateurs. Ainsi même si des règles de libéralisation des échanges sont applicables dans un espace, cela ne veut pas dire que les échanges vont augmenter.
Mais quelles en sont les raisons ? Une explication plausible est tout simplement le fait que pour avoir une économie dynamique, il faut avoir un système politique libre ou tout du moins une société civile active. La Russie, qui a exporté son modèle kléptocratique, n’a pas construit un modèle suffisamment favorable à l'initiative individuelle, ni à l'accroissement du capital et donc du progrès technologique. Son poids économique est donc contre productif tant que les réformes institutionnelles internes de la Russie n’ont pas eu lieu. Le résultat direct de cet état de fait est que les Etats-membres de l’UEE sont de plus en plus attirés par d’autres ensembles géopolitiques à leurs frontières.
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