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La Russie ou la Grande Inconnue



L’Histoire de la Russie, c’est l’Histoire d’une perpétuelle frustration. Le potentiel de cet Etat a toujours été extraordinaire, et pourtant, au cours des siècles, la Russie n’a jamais pu réaliser son ambition. Toujours seconde, toujours à la marge, toujours encerclée, la Russie n’a jamais réussi à assouvir son ambition.


Les raisons en sont nombreuses, et on va les étudier sous peu, mais en tant que russe je me permet encore d’espérer que peut être bientôt, la Russie va enfin renouer avec son destin. C’est pour cette raison principalement que je pense que la Russie a un rôle extraordinaire à jouer en ce XXIème siècle : celui d’un acteur qui change tout. Car si la Russie prends les bonnes décisions, elle changera l’équilibre des forces dans le monde et elle pourra changer le cours de l’Histoire. Mais si elle s’entête à prendre les mauvaises, je crains qu’elle aura perdu sa dernière chance.


En ce sens, on peut dire que la Russie joue son avenir et l’avenir du monde. Si elle réussit le monde n’ira que mieux. Si elle échoue, elle risque plus que jamais de devenir un Etat de second ordre, voir une puissance soumise à l’étranger.


Mais avant d'étudier son avenir géopolitique, il faut encore comprendre ce qu’est la Russie et d’où elle vient.


GEOGRAPHIE





La Russie est un Empire.


Il suffit de voir sa carte pour s’en rendre compte. La surface de la Russie est à peu près égale à la surface totale de Pluton. Son territoire représente 1/10 de la surface de la planète et la Russie est évidemment le plus grand pays du monde.


Son territoire est extrêmement riche. Ses terres arables sont énormes et très fertiles. La Russie ne manque de également de rien en termes d’autres ressources et notamment de bois ou de minéraux divers. De plus, c'est un géant de l’énergie, ayant des ressources conséquentes en gaz et en pétrole. Ses réserves d’or et de pierres précieuses sont également prodigieuses.


De plus, son territoire est rempli de voies fluviales navigables qui permettent un excellent réseau de communication interne. La Russie a une façade pacifique et des projections maritimes sur la mer baltique et la mer noire (sans oublier la mer blanche dont le traffic augmente !).


Sa position est aussi stratégique vu qu’elle se trouve entre l’Europe et l’Asie tout en bordant le Moyen-Orient.


Tout semble parfait sur la plan géographique pour placer la Russie parmi les mastodontes que sont la Chine et les Etats-Unis … sur le papier.


Parce que le problème principal de la Russie est que son territoire est extrêmement difficile à gérer et pose des problèmes logistiques et structurels conséquents.


Par exemple, on peut citer le fait que l’essentiel de son territoire est un désert glacé. Ainsi si on compile uniquement les terres “habitables”, la Russie est en fait beaucoup plus petite qu’elle ne semble au premier abord. Ensuite les distances inhérentes à ce territoire gigantesque créaient des difficultés administratives, logistiques et démographiques considérables. Dailleurs une des difficultés est que beaucoup de territoires sont peu peuplés. Si les Etats-Unis ont une population avoisinant les 400 millions d’habitants et la Chine 1.5 milliards, la Russie n’en compte que 140 millions (l'équivalent de la population de la France et de l’Allemagne seulement, alors que l’Europe compte un demi-milliard d’habitants !).


Le coût de défense de ce territoire est également immense. Là où l’Europe a un petit territoire à défendre, là où la Chine a une énorme population pour écraser quiconque lui chercherait des problèmes et là où les Etats-Unis sont suffisamment protégés par la nature pour pouvoir exporter leur puissance, la Russie a une petite population pour défendre un énorme territoire continental cerné de frontières terrestres (la Russie a des frontières avec l’Europe (qui de surcroît est une plaine d’invasion), le Moyen-Orient via le caucase, l’Asie centrale, la Mongolie et la Chine !).


Si cela n’était pas assez, la Russie a également une position difficile quant aux routes commerciales : la plupart des projets des nouvelles routes de la soie évitent de passer par la Russie (pour éviter la Sibérie et la Tundra pour profiter des voies de communication traditionnelles et naturelles de l’Asie centrale). La Russie a des projections maritimes certes, mais elles sont loin d’être les meilleures.


Saint-Pétersbourg permet l’ouverture vers les mers du Nord, mais pensez seulement qu’un navire russe qui quitte Saint-Pétersbourg doit immédiatement traverser le détroit de Finlande qui se trouve entre la Finlande et l’Estonie (deux pays membres de l’UE) avant de traverser la batlique vers les détroits du Danemark pour enfin ouvrir sur la Mer du Nord où il faut encore passer les îles britanniques pour atteindre l’Atlantique.


De même, la projection sur la Mer Noire n’est pas évidente. De Crimée la Russie doit soit pénétrer le Danube (dont tous les Etats sont de l’UE) soit traverser le Bosphore et le Dardanelles (contrôlés par la Turquie) pour ensuite traverser soit les détroits siciliens pour rejoindre Gibraltar (contrôle britannique) pour sortir sur l’Atlantique, soit passer par Suez et le golf d’Aden pour rejoindre l’océan indien.


On a vu beaucoup plus simple comme routes commerciales.


Il ne reste que la façade pacifique qui elle est largement avantageuse mais le problème est que le côté Pacifique de la Russie est coupé du reste de la Russie car oui, environ 60 à 80% de la population russe se trouve dans la partie européenne du pays.


Ainsi, maîtriser ce territoire demande une main ferme mais aussi un esprit brillant. Contrairement aux Etats-Unis qui jouent “en mode facile”, la Russie elle joue “en mode difficile” pourrait-on dire. Si l’élite russe est compétente et capable, la Russie peut puiser dans ces avantages pour dépasser ses problèmes. Mais si son élite est incompétente et corrompue, la Russie ne fait que reculer et s'effondrer à petit feu. Ce fut le cas au XVIIème siècle avant l’arrivée de Pierre le Grand au pouvoir, c’est encore le cas aujourd’hui après la chute de l’URSS.


La Russie exige donc un pouvoir exemplaire, compétent et capable. Or, son Histoire ne nous montre pratiquement que le contraire.


HISTOIRE DU POUVOIR RUSSE






La Russie, c’est l’Histoire d’une corruption endémique. Cette corruption touche à tout. L’argent bien sûr, mais aussi les valeurs et les esprits. Le fait est que de tout temps, un élite, qu’elle soit féodale, aristocratique, communiste ou oligarchique, a pu prendre la mainmise sur les ressources prodigieuses de cet Etat pour se les garder pour elle.


Ainsi on a d’un côté une oligarchie prodigieusement riche qui tombe dans les pires excès de dépense et de débauche alors que de l'autre côté l’essentiel de la population est réduite à la misère. Cette misère a pour effet de sapper la morale populaire et donc de motiver la population à “survivre comme elle peut”. Ce peut être dans les cas extrêmes le recours au larcin, le vol ou l’immoralité.


Pour justifier son pouvoir, l’oligarchie en place va jouer un fin jeu de propagande en proclamant d’une part des “valeurs” (qu’elle renie absolument dans les faits) et d’autre part va faire craindre à la population un ennemi de l’extérieur et de l’intérieur. Ainsi l’élite communiste par exemple avait des moeurs de l'aristocratie de l’ancien régime tout en prétendant défendre le travailleur et parlait d’un “ennemi impérialiste” prêt à attaquer l’URSS pour justifier l’usage arbitraire du pouvoir par les forces de sécurité dont l’objectif réel était d’écraser toute contestation de l’hypocrisie de la classe dirigeante.


Mais pour en revenir à notre sujet, si la Russie a besoin d’une élite compétente, elle ne l’a pratiquement jamais eu. A de rares occasions, comme par exemple le règne de Pierre le Grand ou le Gouvernement de Stolipine, la Russie a eu le leadership dont elle avait besoin. Et les progrès qui ont été accomplis ont été astronomiques. En seulement 30 ans de règne de Pierre le Grand, la Russie est passée d'un Etat féodal à la marge de l’Europe à une puissance moderne et un grand acteur de la scène européenne.


Ainsi la Russie ne tient que sur les fondements mis en place par quelques épisodes de progrès spectaculaires pour ensuite stagner l'essentiel du temps restant sous des régimes autoritaires. Mais alors comment briser cette malédiction ? Comment renouer avec une croissance constante et complète du potentiel russe ?


La méthode est malheureusement inconnue mais les résultats en seraient clairs. Etudions donc les deux scénarios de développement de la Russie.


L’AVENIR GEOPOLITIQUE RUSSE




Si la Russie continue sur sa trajectoire actuelle, elle finira par devenir un vassal de la puissance chinoise. Dépourvue d’investissements étrangers venant de l’Occident mais dépendante de ces investissements, la Russie n’a eu d’autre choix que de se tourner vers la Chine pour garantir la continuité de son activité économique. L’un des problèmes majeurs de la Russie c’est qu’elle a toujours trop compté sur les revenus issus de la vente des hydrocarbures. Mais même quand elle vend d’autres ressources comme le bois et l’aluminium, elle ne fait que vendre des matières premières (ce qui exclut donc la forte valeur ajoutée propre à une transformation industrielle qui crée un produit complexe et en forte demande). En d’autres termes, si les valeurs marchandes sont gigantesques et les volumes d’exportation conséquents, ils sont en trompe l'œil car ils ne bénéficient pas de valeurs ajoutées conséquentes.


Bien sûr la Russie créait aussi des produits technologiques comme par exemple l’armement ou la technologie spatiale, mais le problème est que ces secteurs dépendent énormément des subventions publiques, qui elles sont acquises … par la vente d’hydrocarbures. Tout cela sous-entend que la Russie est extrêmement sensible aux fluctuations des prix sur le marché de l’énergie. Et on sait que les prix du pétrole baisseront durablement sur l’avenir.


La Russie doit donc développer son économie autrement, à encourager l’initiative individuelle et à faire venir des investissements de l’étranger. Mais cela veut dire qu’il faut d’abord libéraliser le marché (et par là également la société) et ensuite avoir d’excellents rapports avec les Etats étrangers sources d’investissements (Etats-Unis, Europe et Japon essentiellement).


Or la Russie pour l’instant fait le choix de la répression, du pillage et de la corruption de sa propre économie. Sur la scène internationale, elle prend des postures pleines de bravade pour prétendre être ce qu’elle n’est plus (une superpuissance). Le résultat est que son économie est au mieux stagnante, au pire en chute libre alors que la Russie est isolée sur la scène internationale. Donc la Russie est obligée d'aller mendier auprès du seul investisseur disponible : la Chine. Et c’est ainsi qu’après avoir dominé la Chine, c’est la Russie qui se retrouve dominée et humiliée. Tout cela pour le seul maintien du pouvoir en place.


Mais si la Russie est capable de changer de l’intérieur (et ceci est un sujet pour une future chronique sur ce blog), alors elle pourra commencer à non seulement libéraliser son économie, elle pourra aussi défaire les nœuds de sa politique étrangère.


C’est là que vient en jeu ce que j’appelle “la Grande Jonction” : le rapprochement naturel de la Russie et de l’Europe. Car cela fait des siècles que la Russie essaye de se rapprocher de l’Occident, soit par la diplomatie (XIXème siècle, années 80-90) soit par la conquête (période soviétique). C’est un grand rêve inachevé que de voir l’Europe et la Russie travailler ensemble.


Et cette Grande Jonction est l’enjeu principal du XXIème siècle pour la Russie et pour l’Europe. Si elle est finalement réalisée (et il y a du travail pour que cela se fasse) le cours de l’Histoire sera changé car cet ensemble peut devenir un des axes majeurs de la Communauté Internationale. Si elle n’est pas réalisée, alors la Russie restera dominée par l’étranger et l’Europe perdra un des marchés qui lui est le plus attractif.


Car il faut bien le comprendre, dans un monde en plein réchauffement climatique, il faut diminuer autant que possible les distances entre fournisseurs et marché en aval. Il faut donc que l’Europe trouve un fournisseur en matières premières proche de ses frontières et un marché dans lequel investir ses dividendes. Et il s’agit bien sûr de la Russie ! Je ne parle pas non plus ici des enjeux sécuritaires car une alliance avec la Russie permettrait de stabiliser les frontières à l’Est de l’Europe tout en permettant à la Russie de redéployer ses efforts vers une pression sur la Chine par le Nord (bénéficiant ainsi aux intérêts européens et américains !).


Cette Grande Jonction est donc vitale pour la Russie, pour l’Europe et pour le monde occidental en général ! C’est en cela que la Russie est la Grande Inconnue de ce début de siècle. Il s’agit d’un acteur qui a un rôle prépondérant à jouer pour l’équilibre du monde et dans le même temps il est difficile de savoir quel rôle elle va jouer dans les faits.


CONCLUSION





Si j’ai décri beaucoup de points différents sur l’avenir et l’état actuel de la Russie, je souhaite conclure par le point focal de toutes mes réflexions. Que ce soit pour changer son économie, changer le cours de son Histoire, changer son avenir et changer sa politique étrangère, la Russie doit absolument changer de l’intérieur.


Absolument rien de bon ne pourra se produire si la Russie continue d’avancer dans la même direction qu’elle le fait aujourd’hui. Le cœur de tous les enjeux pour la Russie c’est de changer. Seulement si elle change pourra-t-on changer ses relations avec l’extérieur, seulement si elle change pourrait-on imaginer un avenir meilleur pour l’Occident, seulement si elle change pourrait-on espérer un avenir meilleur pour sa population.


C’est un des grands enjeux de notre temps : réformer la Russie ! Et seulement les russes peuvent le faire !


PS : Je vais prendre une pause quant à la rédaction des chroniques pour me concentrer sur mon mémoire et ma soutnenance. Toutefois je vais essayer de mainteninr le blog actif via la publications de traductions et d'articles sur l'actualité. En espérant revenir bientôt :)

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