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Intégration Soviétique et Post-Soviétique: La Fondation d'une Union Soviétique



Dans l’imaginaire collectif l’Histoire de la Révolution russe, c’est tout simplement l’Histoire du passage de l’Empire russe à l’URSS et l’Histoire de la fondation du premier régime communiste au monde. Mais, tout comme 1789 n’a pas remplacé en France le roi par la République d’une traite, l’Histoire de la fondation soviétique est plus complexe. En vérité la création de l’URSS est le fruit d’un compromis idéologique : celui du besoin de maintenir la cohésion de l’ancien territoire de l’Empire russe tout en garantissant les indépendances récemment acquises par “les peuples” de l’Empire effondré.


Pour bien le comprendre il suffit de suivre la voie idéologique tracée par Lénine au cours des années révolutionnaires jusqu’en 1922. En effet, il faut savoir que Marx n’avait pas considéré la question nationale comme étant cruciale pour la future Révolution prolétaire. Ce fut le travail de Lénine qui a permis de concilier marxisme et nationalisme. Lénine avait compris très tôt qu’un des grands enjeux du siècle à venir serait la question nationale au sein des Empires et notamment au sein de l’Empire russe en particulier. Il fallait donc trouver une position qui puisse répondre aux demandes des minorités (notamment ukrainiennes et des peuples du Caucase) tout en jouant sur la carte de “l’internationalisme” prônée par le socialisme classique.


C’est ainsi que Lénine va s’inspirer des réflexions d’Engels qui avait considéré, en étudiant le cas irlandais, que la libération nationale devait précéder la libération sociale. C’est pourquoi Lénine reprend dans son “Marxisme et la question nationale” (1913) l’idée qu’il faut soutenir les demandes des “peuples sans histoire” pour obtenir leur appui dans la Révolution à venir et les encourager à l'autodétermination.


C’est donc a contrario du Gouvernement Provisoire, que Lénine va soutenir toutes les demandes d’indépendance des minorités au sein de la République Russe en 1917. Ce mouvement va amener aux différentes déclarations d’indépendance ayant eu lieu au cours de la Révolution. L’effondrement de l’Empire russe, Etat centralisé et monolithique, était donc acté par la Révolution bolchévique d’Octobre 1917.


Mais voici qu’un paradoxe apparu, car Lénine et Staline (le Commissaire aux Nationalités nommé par Lénine dans le nouveau Gouvernement révolutionnaire) n’ont jamais voulu l'effondrement de l’espace territorial, construit pendant des siècles par l’Empire russe. Il suffit pour s’en rendre compte d’envisager le fait que la base sur laquelle allait se construire le nouveau pouvoir était ouvrière et que l’essentiel du bassin industriel de l’Empire russe se trouvait à l’Ouest, c’est-à-dire dans les nouvelles Républiques ukrainienne, polonaise, lituanienne, etc … Ils ne pouvaient donc se permettre de laisser ces territoires être réellement indépendants.


Tant que l’idéologie des bolcheviques était “internationaliste”, il semblait qu’il n’y avait pas d’urgence à reconquérir et à réintégrer ces territoires. En effet, la foi profonde des partisans de Lénine en 1917 était que les Etats-nations étaient voués à être démantelés en des Gouvernements locaux (les “soviets” ou “conseils”) et qu’il fallait concevoir les conflits mondiaux non pas comme des luttes entre nations mais comme une lutte des classes. En d’autres termes, dès que la classe ouvrière occidentale aurait renversé sa propre bourgeoisie, elle rejoindrait la Russie soviétique pour lui apporter un soutien économique sans qu’il n’y ai besoin d’annexer des territoires.


Mais tout changea lors du “miracle sur la Vistule”. La défaite de l’armée rouge, partie en mission de soutien aux révolutions prolétaires européennes, a mis un coup d’arrêt aux ambitions des nouveaux maîtres de la Russie. La révolution ouvrière en Occident ne se matérialisa pas. Il fallait désormais construire une “patrie socialiste” avec les Etats devenus socialistes suite aux Guerres civiles commencées après la Révolution.


Ainsi le choix fut fait de construire une “Union Soviétique”. Un rassemblement d'États socialistes créés après la Révolution d’Octobre 1917 et dont le but était d’abord de se défendre contre de possibles intrusions “de l’extérieur” (en référence aux expéditions britanniques, françaises et américaines de 1919).


Cette Union allait être idéologique et non nationale (d’ailleurs le choix fut fait de ne pas faire référence à la Russie dans le nom de cette nouvelle Union). Lénine avait joué une carte idéologique particulière ici car il avait décidé de créer une dichotomie entre nations au sens classique du terme (les Etats-nations) et les “nations à l’intérieur de celles-ci” (les “nations bourgeoises” et les “nations prolétaires”). Ainsi il pouvait concevoir sa nouvelle Union comme étant une Union d’Etats souverains au sens classique du terme tout en en faisant une Patrie monolithique de la classe ouvrière. D’ailleurs les débats font encore rage aujourd’hui pour savoir si l’Union Soviétique créée en 1922 avait une vocation universelle à englober tous les Etats socialistes à venir … Il est donc difficile de dire si l’URSS était seulement le résultat d’un régionalisme avant l’heure ou un État issu de la création par des États d’un ensemble fédéral.


Toute cette idéologie est résumée dans le Préambule de l’accord sur l’Union de 1922 :


“ La restauration de l'économie nationale s'est avérée impossible étant donné l'existence séparée des républiques.


D'autre part, l'instabilité de la situation internationale et le danger de nouvelles attaques rendent inévitable la création d'un front unique des républiques soviétiques face à l'encerclement capitaliste.

Enfin, la structure même du pouvoir soviétique, qui est internationale par sa nature, pousse les masses laborieuses des républiques soviétiques sur la voie de l'unification en une seule famille socialiste.


Toutes ces circonstances exigent impérativement l'unification des républiques soviétiques en un seul État fédéré capable d'assurer la sécurité extérieure, la prospérité économique intérieure et la liberté du développement national des peuples.”


L’accord crait donc quelque chose qui n’avait jamais été vu auparavant : une “créature plurinationale” qui ne se fonde pas sur une logique historique passée mais sur une idéologie politique commune tournée vers l’avenir. Ces éléments présentent l’Union Soviétique non pas comme un nouvel État remplaçant l’ancien Empire russe mais comme une Union d’Etats indépendants ayant un même objectif international : la construction du socialisme à l’échelle mondiale.


Sans être à l’image de l’Union Européenne qui était encore à venir, on peut reconnaître par cet aspect un caractère fédéraliste commun aux deux ensembles. Une des définitions du fédéralisme donnée par Paul Reuter dit d’ailleurs :


On est en présence du fédéralisme lorsqu’il existe un État, une fédération, qui unifie, sans les absorber complètement, d’autres États, qui sont les provinces ou les États locaux. C’est dire qu’au cœur du fédéralisme réside une contradiction, puisqu’il faut que la qualité d’État appartienne à la fois à la société composée et aux unités membres. Il est bien évident que cette contradiction même est l’élément moteur de l’État fédéral. On veut maintenir la qualité d’État à la fois à un tout et aux parties”.


Bien sûr l’Union Européenne ne constitue pas une Fédération au sens classique du terme, et l’Union Soviétique ne fut pas tout à fait une Fédération comme nous le verrons par la suite, mais il est remarquable que la fondation des deux ensembles se produit selon la même dynamique : rassembler des Etats-souverains en vue d’un projet concret sur le plan international.


De même, ce nouveau fédéralisme soviétique reprend très tôt la notion de politique extérieure pour justifier son existence. Ainsi on peut reprendre la remarque suivante de Patrick Riley :


il “est essentiel d’étudier en parallèle l’évolution des idées nationales et internationales parce que le fédéralisme du niveau national est en réalité une internalisation d’une forme de relations extérieures (une union d’États “souverains”), alors que le fédéralisme international est une externalisation (“gouvernement” mondial) d’une forme politique caractéristique d’une structure interne d’un État. Formulé différemment, le développement des idées fédérales est l’histoire des efforts qui transforment les gouvernements nationaux en relations internationales et les relations internationales en gouvernement”.


Cette dynamique, qui apparait très clairement à la fin du XXème siècle, était déjà en marche avec la création de l’Union Soviétique qui avait avant un but international à vocation mondiale.


L’Union Soviétique préfigure donc déjà l’aspect particulier de l’Union Européenne quand elle prétend être une Union d’Etats souverains liés par une destinée commune. Mais quand on regarde de plus près, on peut remarquer d’autres éléments de comparaison dans les outils d’intégration utilisés par l’Union Soviétique pour ménager le pouvoir socialiste en place et la souveraineté des nouveaux Etats nés de la dislocation de l’Empire russe. C’est ce que nous verrons la semaine prochaine.

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