La construction européenne est un phénomène récent. En effet, jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale et la fin des Empires coloniaux, les Etats européens se sont construits de manière autonome et souvent en conflit les uns avec les autres. Cela n’a bien sûr pas empêché l’émergence d’un modèle civilisationnel commun mais il est important de souligner que les Etats européens ont souvent considéré leurs voisins d’abord comme des concurrents. De plus, une fois que tous les territoires européens devinrent la possession d’une puissance ou d’une autre, les seules perspectives de croissance furent à l'extérieur du continent, d’où la recherche de colonies.
L’espace qui sera l’objet de notre analyse a vécu une toute autre Histoire.
Si au départ, la Russie faisait partie de l’ensemble “chrétien” européen, quoique un peu à la marge, elle fut coupée de la civilisation occidentale au moment des invasions mongoles. Ainsi, si l’Europe se construisit en étant tournée vers l’Ouest et vers les grandes capitales occidentales comme Paris, Londres ou Florence, la Russie a été subjuguée et obligée de tourner son regard vers l’Est et les grands centres du pouvoir mongols comme Kazan, Astrakhan ou Karakoroum. Si la Russie a réussi à maintenir sa langue (qui fut tout de même fortement influencée par les termes mongols) et sa culture (d’origine byzantine et slave), elle a vécu une évolution différente vis-à-vis de l’Europe à partir de ce moment-là. Si l’Europe petit à petit se tournait vers des régimes parlementaires ou vers des modèles de corporations et de Chartes accordées par leurs souverains, la Russie a connu plutôt une centralisation sans précédent du pouvoir et des monopoles d’Etat. Ainsi, le Tsar Ivan le Terrible contrôlait déjà un monopole sur la vente d’alcool au XVIème siècle et nommait à tous les offices de l'État, peu importe le niveau régional.
Ceci constitue un élément clef de la compréhension de l’Histoire de cet ensemble géographique. Dès que la Russie a réussi à se défaire du joug mongol, elle en a profité pour prendre sa place, pas pour rétablir un système politique inspiré des européens. Le Tsar était l’héritier du Grand Khan. La preuve en est, Ivan III avait écrasé la République de Novgorod, Etat au Nord du pays qui vivait selon un système comparable à celui de la Pologne à l’époque (avec des Assemblées et des corporations) pour en faire un vassal à son pouvoir. La République de Novgorod était en effet le seul territoire russe à ne pas avoir été conquis par les Mongols ce qui lui a permis de suivre une évolution semblable à celle qui avait eu lieu en Europe, notamment via le commerce avec la Hanse teutonique. Ivan IV, plus tard, a institué une police politique et une administration qui lui était toute soumise, ce qui à nouveau nous montre que les racines de l’autoritarisme russe sont anciennes et profondes.
Si les Etats européens étaient obligés à partir du XVIème siècle à chercher des territoires en Amérique, la Russie a décidé de conquérir les anciens territoires mongols à l’Est et ensuite de se tourner entièrement vers la conquête de l’extrême orient. C’est ainsi qu’en quelques siècles la Russie devint le maître de ce qu’on appellera plus tard le “Turkistan” (Asie centrale).
Si Pierre le Grand a ensuite voulu suivre le modèle européen, ce n’était uniquement que pour rattraper l’Europe dans le domaine technologique, pas politique. Pierre le Grand décida d’annexer des terres en Europe orientale pour rétablir la dominance russe sur ses lieux mais sans en accepter les lois et coutumes. Ainsi aucune forme juridique issue de la Lituanie ou de la Pologne n’ont été reprise dans l’Empire russe. Au cours du XVIIIème siècle, la Russie va également conquérir l’Ukraine et la Biélorussie, les pays du caucase et consolider son contrôle sur l’Est.
En 1914, la Russie était immense. Elle contrôlait des peuples de culture, de langue et de religion différentes. Tous soumis à la puissance de “l’Autocrate” : l’Empereur. L’Empire russe fut d’ailleurs un Etat centralisé à quelques exceptions près (comme la Finlande ou la Pologne qui jouissaient de quelques régimes dérogatoires). Les Gouverneurs étaient nommés et rappelés par le pouvoir central, la parole de l’Empereur était loi. Des coutumes et des usages perdurèrent au niveau local car la Russie demeurait un État agraire, très peu implanté dans la ruralité. Mais il était hors de question d’accorder la moindre autonomie aux peuples composant l’Empire comme les juifs, les peuples turcs ou encore les caucasiens.
Nous voyons donc que l’espace que nous étudions a vécu une même Histoire et vient d’un même processus historique. Il s’agit certes d’un Empire multiethnique, mais il a donné une unité et une identité à tous ses membres.
Toutefois, le régime du Tsar ne pouvait tenir. Malgré quelques tentatives de réformes dans les années 1860, la population dans son ensemble restait pauvre, illettrée et exploitée sans merci par les grands industriels. A la fin du XIXème siècle, tout le monde avait le même mot à la bouche : “Révolution”. Mais la question était : quelle Révolution ? Certains prônaient une Révolution libérale à l’image de la Révolution française, d’autres préconisaient d’aller plus loin, à l’image de la Commune de Paris.
Une Révolution a eu lieu en 1905 et le Tsar a été obligé d’accorder à l’opposition libérale la création d’une Assemblée élue : la Douma. Mais il revint vite sur ses promesses, et la Douma ne fut au final qu’un organe consultatif.
L’événement qui amena une vraie Révolution, fut la Grande Guerre. En effet, les échecs militaires, l’incompétence des Ministères et la mauvaise gestion économique ont fini par saper les fondations du régime. Le règne des Romanov s'achèva début 1917 avec la Révolution de Février.
Mais le régime transitoire du Gouvernement Provisoire se trouva être impuissant et incapable de tenir ses promesses. Il fut toujours miné dans sa politique par le Conseil de Petrograd (le “Petrosoviet”), organe ayant été créé au même moment que le Gouvernement Provisoire et représentant les ouvriers et les militaires.
Ce fut Lénine qui mena la Révolution d’Octobre, un Révolution qui amena au pouvoir les bolchéviques (faction du Parti Social-Démocrate) et commença la création d’une nouvelle société. Lénine était un héritier des pensées marxiste et socialistes. Il décida donc de les mettre en œuvre pour la première fois à l’échelle d’un Etat. Mais il le fit selon sa propre conception du pouvoir. Cette théorie devint connue sous le nom de “Marxisme-Léninisme”. Couplée avec les idées de la “Révolution Permanente” de Trotsky, l’idée centrale était de créer une société communiste à marche forcée. En effet, selon la vieille théorie marxiste, le capitalisme devrait s’effondrer de lui-même et il ne suffirait donc que d’attendre patiemment que toutes les étapes naturelles de son effondrement aient lieu. Ces étapes sont la création d’une société bourgeoise et libérale, qui à un stade avancée d’une économie industrielle donne lieu à une Révolution ouvrière qui institue un Gouvernement de démocratie radicale qui construit le communisme. Mais Lénine considérait qu’il était possible de sauter toutes ses étapes et d’aller plus vite via la création d’une “dictature du prolétariat”. Une société autoritaire dans laquelle le Parti détenait tous les leviers du pouvoir et jouait le rôle d’une avant-garde révolutionnaire, poussant de force la société en avant.
L’ironie du régime soviétique, c’est que Bakounine (célèbre anarchiste du XIXème siècle) avait réussi à prédire sa chute bien avant son instauration. Il avait en effet dit que peu importe que la dictature soit conservatrice ou socialiste, cela ne lui enlève pas les effets nuisibles de la dictature, et le résultat sera le même dans les deux cas. Ainsi, en créant la dictature du Parti, soutenue par une police politique, Lénine n’avait de fait que reconstruit le régime précédent sous de nouvelles couleurs. L’oppression n’était plus monarchique, mais elle était toujours là.
70 ans plus tard, les effets néfastes d’un régime autoritaire, couplés avec l’inefficience d’une économie dirigiste socialiste, ont amené à un affaiblissement structurel du régime. Cette faiblesse a eu pour résultat l’explosion de l’URSS, avec cette fois-ci l’indépendance de ces composantes.
En 1991, une Union Soviétique était devenue quinze nouveaux Etats indépendants. La plupart des ces Etats ont d’abord prétendu suivre la voie de la démocratie libérale et de l’économie de marché. Si certains ont réussi ce pari (on pense notamment aux pays baltes) d’autres ont échoué.
Les raisons de ces échecs sont nombreuses mais deux viennent à l’esprit en particulier : la faiblesse de l’Etat et une libéralisation de l’économie trop rapide. Sans moyens de répression efficaces, les Etats n’ont pû empêcher la création d’une nouvelle classe oligarchique qui a réussi à s’emparer de tous les leviers économiques possibles. Cette classe oligarchique a ensuite réussi à infiltrer les couloirs des grands palais présidentiels et parlementaires des nouveaux Etats indépendants.
Les décennies qui ont suivi furent autant des décennies de consolidation du pouvoir des nouveaux groupements en place qu'une période de troubles internes inédits. On pense notamment aux “Révolutions de couleur” des Etats de l’Asie centrale ou de la Guerre de Tchétchénie.
Mais en 2014, un nouveau processus a été enclenché : la réintégration. En effet, le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie et l’Arménie ont fondé une Union Économique Eurasiatique. Le Kirghizstan a rejoint l’organisation peu après sa création. Cette organisation a vocation à rapprocher ces Etats sur le domaine économique et s’inspirer de l’intégration européenne pour renouer avec l’intégration régionale perdue depuis la chute de l’URSS. L’objectif en est aussi de protéger l’ensemble d’une ingérence extérieure et de devenir une puissance géopolitique à part entière.
Vu que l’ensemble prétend s’inspirer de l’Union Européenne et que cette organisation internationale se trouve à proximité de cette dernière, il est intéressant d’étudier son processus intégratif, surtout pour essayer d’en déduire l’évolution future ainsi que ces intéractions possibles avec l’Union Européenne. Personne ne conteste d’ailleurs que l’Histoire européenne a influé sur l’Histoire de l’espace soviétique et vice versa. Après tout, l'Europe doit encore gérer aujourd’hui les conséquences de l’occupation soviétique en Europe de l’Est.
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