Le matin du 24 Février j’ai été réveillé par un appel téléphonique : une de mes amies ukrainiennes était sous le choc des nouvelles qui commençaient à arriver. La première chose qu’elle m’a dit fut “Tu as entendu ce qui arrive ?”. Malheureusement je ne peux pas dire que j’étais surpris. Sans même lire les informations, je savais de quoi elle parlait car j’avais écrit sur le sujet de la Guerre en Ukraine sur mon blog depuis le mois de Décembre 2021 et j’avais anticipé à 8 contre 10 que cette Guerre arriverait. D’ailleurs mon amie ukrainienne voulait qu’on fasse une interview pour que je puisse expliquer pourquoi j’étais sûr que cette Guerre aurait lieu mais les événements ont été plus rapides …
Elle m’appelait surtout pour obtenir mon aide. Elle savait que j’étais diplômé en droit international et elle voulait que je l’aide à faire sortir sa famille d’Ukraine, elle voulait en savoir plus sur le droit des réfugiés. Le droit des réfugiés n’étant pas ma spécialité, j’ai passé la matinée à chercher des informations pour l’aider elle et sa famille.
Le soir après le travail, je suis allé au meeting qui avait été organisé en urgence place de la République en soutien au peuple ukrainien. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à comprendre ce qui arrivait sur le plan émotionnel et non plus juste rationnel. Être là, entouré d’un peuple terrifié mais courageux, sous l’attaque d’un ennemi mais défiant jusqu’au bout, j’ai commencé à me sentir comme couvert de sang. Comme si Poutine nous avait tous salis par ce crime inhumain. J’ai grandi persuadé qu’il n’y avait pas de peuple plus proche de nous que les ukrainiens. Et voilà que mon peuple tuait le leur, et même si je n’étais pas directement responsable, j’en portais quand même la honte. Je regardais les ukrainiens autour de moi, et je voyais en eux ce que je pensais être les caractéristiques principales de mon propre peuple : patriotisme, honneur, solidarité, humanité. Je repensais à ce qui avait commencé ce jour-là : mon peuple massacrant et tuant sous le fanatisme et la folie. Comme ces fascistes qui avaient autrefois envahi notre patrie en 1941. Tout devint clair, nous étions les nouveaux agresseurs et ils étaient les héros que nous aurions dû être. Et à cet instant, ma vie n’avait plus de sens parce que le fait même d’être russe semblait avoir changé de nature. Être russe n’était plus un honneur mais une sorte de malédiction.
Ce soir-là j’ai vu mon amie et me tenant devant elle, elle membre de ce peuple à nouveau attaqué, j’ai senti l’émotion monter en moi. Avec une voix brisée je lui ai dit qu’au nom du peuple russe j’étais désolé. Elle m’a répondu que ce n’était pas de ma faute. Et c’est là que mon cœur s'est brisé. Car j’étais au contraire persuadé que c’était de notre faute, notre faute à tous. Elle et sa famille étaient attaquées à cause de nous, à cause de moi. Je regardai alors le ciel et je fondis en larmes. Elle m’embrassa, et je sentiis cette étrange sensation que malgré tout nous étions quand même amis. Attaquée mais forte de sa compassion, elle était grande. Moi, membre d’une Nation désormais couverte de sang fraternel, je me sentais tout petit. Je raconterai plus tard à propos de cet événement lors d’un meeting russe contre la Guerre que cet instant montrait toute la grandeur et l’honneur du peuple ukrainien car même attaqué il montrait de la compassion.
Mon projet professionnel avant la Guerre fut de travailler au rapprochement de l’Europe et de la Russie (je suis récemment diplômé en droit international et économique). Mais depuis le 24 Février 2022, je travaille sans relâche à expier nos fautes en contribuant à la chute du régime de Poutine. Agir politiquement est devenu un impératif. Car la fin de la Guerre ne sera pas suffisante, nous devons assurer pour l’avenir qu’un tel crime n’arrivera plus. Je participe à des associations et mouvements anti-guerre russes ici à Paris. Je ne m’arrêterai pas. Cette lutte définit désormais mon existence et mon identité. Car la Grande Russie fraternelle et compatissante n’est pas morte. Elle est en chacun d’entre nous. Abandonner le combat c’est donner raison à ces criminels qui gouvernent la Russie actuellement. La Russie avec laquelle j’ai grandi est toujours là, et elle exige de moi que je me batte sur tous les fronts pour qu’elle puisse enfin devenir ce qu’elle aurait toujours dû être : une Russie libre et heureuse. Une Russie pacifique, honorable et exemplaire.”
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